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Photo du rédacteurAlexandra Campeau

Lettre ouverte à toi, cher privilégié

Dernière mise à jour : 4 mars 2020

ou si tu le préfères, cher homme hétérosexuel cisgenre blanc


Et d’avance, je m’en fous d’avoir l’air détestable, parce que je le sais que vous allez trouver le moyen de me dire que je suis belle même quand je suis fâchée. Que vous allez trouver instinctivement comment infantiliser mes propos, superficialiser ma colère, que vous allez faire comme si c’était moi le problème. Et non, pour ceux qui se le demandaient, je ne suis pas SPM.


Lettre ouverte parce que je suis furieuse à tous les jours.

Parce que je ne peux pas ouvrir mon Facebook sans apprendre que le maire Michel Lemay a dit que «les femmes menstruées ne peuvent pas prendre des décisions éclairées». Et réaliser qu’on est menstruée environ 6 ans au total dans notre vie, ça en fait en maudit des mauvaises décisions.


Lettre ouverte parce que je peux pas rentrer chez moi le soir, sans vérifier que personne ne me suit, parce qu’il y a un élève dans mes cours qui me harcèle.

Et demander à une amie de marcher avec moi quand il est tard le soir et quand même me faire catcall dans la rue, juste pour me rappeler à quel point je suis en sécurité.

Lettre ouverte parce que je suis épuisée de me faire pénispliquer et mansplaining à l’école. Plus capable, que le monsieur dans le fond de la classe qui ne parle jamais, me coupe la parole sur un sujet que je maîtrise pour reprendre mes propos de manière condescendante.


Mais toujours et toujours garder le sourire. Parce que nous les filles, on est naturellement douce et bonne pour te faire sentir bien.

Que notre plus grand rêve, comme dirait le chauffeur de taxi qui m’a ramené chez moi l’autre soir, c’est un homme, des enfants et une belle maison. Merci monsieur pour la leçon!

Mais dans votre calcule, vous avez peut-être oublié la variante de la charge mentale. Dans ce modèle où la femme s'occupe de la gestion des enfants, du ménage, du souper, des devoirs, sans jamais recevoir la moindre reconnaissance et qui dès que les enfants sont à l'école doit commencer son deuxième chiffre au bureau.



Oui certaines peuvent tout faire, avoir un emploi valorisant et une famille à l'allure parfaite. Mais comme la Schtroumpfette, qui rend acceptable un monde ou une seule femme est représentative de toutes, ne sommes-nous pas dans le droit de demander mieux, d'avoir les mêmes chances et la même reconnaissance?




L’écart salarial n'est qu'une autre preuve des privilèges. En moyenne les hommes font 2,93$ de plus qu’une femme de l’heure, ou 23$ de plus par jour, 117$ de plus par semaine ou 4000$ après impôt par année, non mais c’est deux beaux voyages gratuits dans le sud! En dix ans, c’est 40 000$ de plus, en quarante ans c’est 160 000$ de plus pour le même nombre d’heures travaillées et la même profession. Juste parce que tu es pas une femme. Bravo!


Et oui, et oui, je sais, je sais, je suis une féministe radicale, je l’avoue et toi homme hétérosexuelle cisgenre blanc tu me trouves extrémiste parce que ben voyons donc «To Kebak icitte, on n’en a plus besoin des féminisses».

Et tu peux bien me dire que tu les aimes les femmes, que tu as une épouse, une soeur, une mère, une fille, une voisine, une secrétaire… Et je pourrais te répondre que moi aussi je les aime les hommes hétérosexuels cisgenres blancs, que j’ai un copain, un père, un coloc... Mais la vérité c’est qu’au Canada, une fille ou une femme est assassinée tous les 2,5 jours. Que l’an dernier 148 filles et femmes ont été assassinées au cours de 133 crimes. Que pour leur meurtre, 140 personnes ont été accusées et que 90% étaient des hommes. Des hommes qui avaient des mères, des épouses, des soeurs, des filles… Des filles et des femmes qui étaient des mères, des épouses, des soeurs, l’enfant de quelqu’un… Et leur rôle dans la vie des autres n’a rien changé parce qu’elles étaient et resteront des filles et des femmes, point.


Et si je te dis que nous sommes toutes plus à risque d’hommes que nous connaissons et en qui on devrait avoir confiance et qu’une femme est tuée tous les six jours par un partenaire intime.

Il y a un mot pour définir cette réalité, ça s’appelle un féminicide, ce qui signifie: «le meurtre d'une ou de plusieurs femmes ou filles en raison de leur condition féminine, c'est-à-dire en raison de leur identité de genre». Quand on se rappelle, qu’il y a trente ans, Hélène Colgan, Sonia Pelletier, Anne-Marie Edward, Anne-Marie Lemay, Annie St-Arneault, Annie Turcotte, Barbara Daigneault, Barbara Klucznik-Widajewicz, Geneviève Bergeron, Nathalie Croteau, Michèle Richard, Maud Haviernick, Maryse Leclair et Maryse Laganière ont été tuées lors d’un  attentat antiféministe  à la Polytechnique, ça commence à en faire beaucoup. Et c’est sans compter toutes les filles et femmes autochtones disparues sans même qu’on en parle ou qu'on leur rende réellement justice.


Et si on ajoutait à ça un mot? Je t’avertis, il fait mal aussi celui-là. «Uxoricide» qui veut dire «meurtre de l’épouse par son mari». Parce qu’au Québec chaque année, douze femmes sont tuées par leur conjoint ou leur ex-conjoint. Commences-tu à voir l’ampleur du problème?


Alors quand tu as envie de m’appeler mademoiselle, de m’interrompre, de me dire de sourire, de commenter mon corps, de dire que tu es contre l’avortement, de banaliser un #metoo et de me dire que j'exagère, rappelle-toi que ton sexisme, aussi subtil qu’il le soit cache toute cette réalité derrière lui et que je ne garderai pas le silence pour toutes celles qui n’ont pas eu la chance de parler.


Être féministe c'est vouloir l'égalité de toustes. C'est de ne pas s'assoir sur ses privilèges. Je suis blanche, hétérosexuelle, cisgenre, éduquée et bien financièrement. Mais défendre les droits de la communauté LGBTQ+, des noir.e.s, des musulman.e.s, des transgenres, des itinérant.e.s, des pauvres, des handicapé.e.s, des communautés autochtones dont les Wet'suwet'en ou de toutes autres minorités n'est pas moins mon affaire. Je sais que tu es le plus privilégié et que tu as peur de perdre tes pouvoirs. Mais en offrant les mêmes chances et la même dignité à toustes, c'est la société entière qui va en profiter. Prenons conscience de nos privilèges, de nos comportements toxiques, de nos préjugés et sortons de notre zone de confort.



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